La mort de Paul Coutellier

Nous devons ici un souvenir tout particulier à Monsieur Paul Coutellier, un gendarme de Liesse, qui fut fusillé à l’Ermitage, dans le bois de Liesse, terroir de Marchais, le 14 Avril 1916.

La brigade de gendarmerie de Liesse était restée à son poste jusqu’au moment de l’arrivée des Allemands. N’ayant pas reçu d’ordre de départ, les gendarmes ne quittèrent le pays qu’au moment où les premières patrouilles ennemies furent signalées dans les environs. Trois des gendarmes arrivèrent à rejoindre les lignes françaises mais Paul Coutellier vit sa route, à un certain moment, coupée par les Allemands et il fut contraint de revenir sur ses pas. Rentré à Liesse en civil dans le courant de septembre 1914, il tenta de s’enfuir par la Belgique et la Hollande mais il échoua dans sa tentative et revint à Liesse où il se cacha. Durant de longs mois, il demeura confiné dans une petite chambre, ne sortant un peu que le soir, échappant aux recherches et aux perquisitions des Allemands. Sa jeune femme, admirable de dévouement, aidée par quelques personnes de confiance lui fournissait la nourriture nécessaire.

Les Allemands avaient, à plusieurs reprises, encore, sommé les anciens soldats restés dans les régions occupées de se rendre à la Kommandantur. Un dernier avis du 11 novembre 1915 promettait l’amnistie à tous les soldats qui se rendraient ainsi qu’à ceux qui les auraient cachés. Confiant dans cette promesse, et suivant les conseils qui lui étaient donnés, Paul Coutellier se rendit donc à la Kommandantur de Liesse. Il y fit sa déclaration disant qu’il était un ancien gendarme de Liesse et qu’il se rendait. Il fut laissé en liberté. Durant plusieurs mois il vécut avec les habitants de Liesse, réquisitionné comme les autres hommes pour les travaux à faire dans la commune.

Un Dimanche de mars 1916, Paul Coutelier fut arrêté, à l’improviste, par les gendarmes allemands et conduit dans la maison de M. Lépicier qui servait de prison. Le lendemain il fut interrogé, examiné. L’enquête se poursuivit. Il ne vit pas ses juges et ne fut pas assisté par personne dans sa défense. Un matin, le vendredi 14 avril, il fut conduit à l’Ermitage dans le bois de Sainte Suzanne, et, à cinq heures, il fut fusillé. En raison de l’état de siège et dans l’impossibilité de joindre la Municipalité de Marchais à une heure aussi matinale, la déclaration officielle du décès de Paul ne sera faite que le Dimanche 16 avril, à 11 heures, en Mairie de Liesse, par sa veuve, elle-même, Germaine Julienne Lefèvre. L’aumônier allemand avait confessé Paul et lui avait donné la communion avant de le conduire au lieu de l’exécution.

Paul Coutellier mourut très courageusement, en bon chrétien et en vaillant français.

Monsieur Maurice Lefèvre, (le grand-père de Madame Lupette) note, dans ses carnets, à la date du 14 avril : gendarme fusillé et pour le lundi 17 avril : Service basse messe pour le gendarme Coutellier, fusillé. 
Dans une lettre adressée à Gratien Leroy, mobilisé au front, Martine Lesage écrira : « Les boches ont fusillé Coutellier, le gendarme qui était de retour à Liesse depuis le mois de septembre 1914 ! Quels tas de brigands ! Espérons que nos soldats sauront venger nos chers envahis de tous les maux qu’ils auront endurés… ».

Le prétexte de ce véritable assassinat fut celui-ci : M. Coutellier, lorsqu’il se rendit, se déclara « ancien gendarme » or, selon l’aumônier, sa déclaration était fausse parce que, au moment de la déclaration de guerre, il était en activité. C’est sur cette misérable argutie qu’on mit à mort un homme auquel on n’avait rien à reprocher, qui s’était rendu spontanément se fiant aux déclarations de l’autorité allemande promettant la vie sauve à quiconque se déclarerait de lui-même. M. Coutellier laissait une jeune femme de 23 ans et deux enfants. Monsieur le curé eu la douloureuse mission d’aller annoncer à Mme Coutellier, la mort de son mari.  Cette exécution barbare, cette cruauté que rien ne pourra justifier, jeta la terreur dans la population et pèsera comme un crime de plus sur l’administration allemande. Pour augmenter la crainte, on ordonna des enquêtes : les voisins furent interrogés, des questions leur furent posées pour savoir s’ils avaient été au courant de la présence de M. Coutellier. On craignit un moment de nouvelles arrestations et d’autres exécutions. Peu à peu, le calme se rétablit et l’enquête fut abandonnée. A Liesse, on redoubla de prudence pour écarter les dangers qui menaçaient plusieurs personnes. En effet, peu après la fin de la guerre, en 1923, on apprit publiquement qu’une médaille de bronze de la Reconnaissance française était accordée à Madame veuve Delporte, née Manet Virginie, demeurant à Liesse. Au péril de sa vie car encourant les mêmes risques que certains civils de Anguilcourt-le-Sart ou de Flaignes qui ont été fusillés, elle avait hébergé de 1914 à 1918, un soldat français qu’elle a soustrait aux recherches de l’ennemi en le faisant passer pour un des membres de sa famille.

(Jean PESTEL - Novembre 1914)

Mes sources

  • Textes relevés dans le journal paroissial « Le messager de Liesse », N° 10 et suivants / 1923-1924, extraits du fonds P 430 / Guise, côte 1C 10/20.
  • Aux archives Diocésaines, 63 bis avenue Voltaire à Soissons.
  • Les carnets de Maurice Lefèvre, aimablement prêtés par Madame Lupette, sa petite fille, de Liesse.
  • Le courrier de guerre de Gratien Leroy, ancien restaurateur aux Trois Rois à Liesse, retrouvé par M. Benoit  Adamzyck et transcrit par M. Pascal Becquet.
  • Registre d’état civil de la Mairie de Liesse.

 

(Jean PESTEL - Novembre 2014)

 

 

 

Inauguration d'une plaque commémorative à la mémoire de Paul Coutellier - 2014.