Quelques mots sur l'ancien "Petit Séminaire"

Depuis sa création en 1134, la Chapelle de Notre Dame de Liesse et sa Vierge Noire ont accueilli d'innombrables pèlerinages et plusieurs Rois et Reines de France y sont venus. De ce fait, les religieux appelés au service de ces pèlerins étaient nombreux dans ce bourg.

Dans ce contexte, en 1729, Monseigneur De la Fare, évêque de Laon, avait fait construire, à Liesse, sous la direction de M. Barbier, trésorier, une vaste maison appelée « Retraite de la Trésorerie ». Elle devait être habitée par les prêtres âgés et infirmes du diocèse et servir en même temps de logement aux prêtres habitués qui, de concert avec le trésorier, faisaient le desservice de la Chapelle de Notre-Dame de Liesse. Cette maison avait été construite sur de magnifiques proportions. Elle coûta 52 000 livres de l'époque !

En 1779, cette maison de retraite fut transférée à Laon et ses bâtiments, après quelques transformations, devinrent la « procure » de Liesse, siège de la gestion des biens de l'église.

Quand vint la Révolution de 1789, le Directoire Révolutionnaire de Laon confisqua cette bâtisse et la vendit pour 10 800 livres seulement au citoyen Cordier qui, en réalité - et on le sut bien vite - n'était qu'un prête-nom ; le véritable acquéreur était Monsieur Pécourt, ancien avoué au Tribunal de Première Instance de la Seine.
(Le nom de Pécourt se retrouve dans l'état civil et dans d'autres archives de Liesse.)

Au moment de la Révolution, les prêtres qui n'avaient pas prêté le serment révolutionnaire étaient pourchassés et souvent guillotinés. Deux frères, Jean-Baptiste et Louis Billaudel qui étaient prêtres dans le Laonnois apparaissent alors dans l'histoire de Liesse. Ils y furent d'ailleurs tous deux curés, Jean-Baptiste, de 1812 à 1827 et Louis, de 1827 à 1831. Mais c'est surtout Jean-Baptiste qui y marquera le plus son passage. Jean-Baptiste, l'aîné des deux frères, curé de Bertaucourt près de La Fère, continue, malgré les traques, à défendre la religion catholique et il va jusqu'à créer, vers 1795, des séminaires rudimentaires à la campagne, d'abord, à Menneville près de Neufchâtel puis, en 1802, à Laon. Mais il espère bien pouvoir en installer un, un jour, à Liesse, qui lui semble être le terrain de prédilection pour les défenseurs de la Foi.

Le bâtiment de la Retraite de la Trésorerie l'intéresse particulièrement par sa situation contre la Chapelle et par l'importance de ses constructions. Il cherche à s'en rendre acquéreur.
Mgr Leblanc de Beaulieu agrée les plans de son projet et la Préfecture accède volontiers au transfert, dans un autre local, de la brigade de gendarmerie qui s'était installée dans une grande partie des bâtiments juste après la Révolution. Les habitants de Liesse font une souscription pour venir en aide à l'évêché. Le 29 avril 1811, presque toute l'ancienne Retraite de la Trésorerie est rachetée pour 12 000 livres et au mois d'octobre suivant les frères Billaudel y amènent tout le séminaire de Menneville. Mais à peine l'ouverture faite, un décret impérial du 15 novembre 1811 ferme toutes les écoles secondaires ecclésiastiques qui ne sont point dans les villes et ne laisse subsister les autres que sous des conditions très restreintes. Jean-Baptiste Billaudel ne désarme pas pour autant et en 1814, Louis XVIII ayant accordé aux Evêques l'affranchissement de leurs « Petits Séminaires », Jean-Baptiste Billaudel s'empresse de rouvrir celui de Liesse.

A part un court intervalle pendant les troubles des « Cent Jours », le séminaire de Liesse fonctionnera ainsi jusqu'en 1905. Jean-Baptiste Billaudel crée, dès 1815, dans les bois, entre Liesse et Marchais, un ermitage, avec une chapelle, quelques arpents de terre, une vigne, une brasserie et un moulin. C'est le lieu de détente de ses pensionnaires du séminaire, détente qui passe par le travail et le recueillement et en même temps, le fruit de ce travail est consommé directement par les élèves du séminaire. Jean-Baptiste Billaudel décède en 1827, à Liesse, peut-être des premières apparitions du choléra. Son frère Louis prendra la suite à la Direction du Séminaire (voir acte de décès). Ce séminaire est tenu par la suite, de 1828 à 1860, par les Jésuites. Il fonctionnera jusqu'en 1905.

Lorsqu'en 1905 l'Etat décrète la confiscation des biens de l'Eglise, le Séminaire de Liesse est mis en vente mais c'est finalement le Département qui en devient propriétaire sans savoir ce qu'il va pouvoir en faire. Dans un premier temps, on y installe le bureau de poste et le service du téléphone. Un peu avant la guerre de 14, on y retrouve un embryon de colonie pénitentiaire qui ne durera pas longtemps car, la nécessité s'en faisant sentir, le département y installe un préventorium. Pendant les guerres de 14-18 et 39-45, on y voit un hôpital de campagne. Le lundi de Pentecôte 13 mai 1940 à 16 heures, une bombe vient même exploser dans la petite cour entre les bâtiments et l'église détruisant une partie des bâtiments latéraux. Après 1945, avec l'éradication de la tuberculose, le « prévent » comme l'appelaient les autochtones, est de moins en moins occupé.

Aussi, le Département envisage sa fermeture et songe, en 1958, à y installer un établissement d'accueil pour les enfants en difficultés. Après certains travaux de mise aux normes et d'amélioration, en avril 1959, s'ouvre l'Institut Médico-pédagogique Départemental qui, en 1994, prendra le nom d'Etablissement Public Autonome pour la Rééducation par le Soin (EPARS).

Les origines religieuses et ses destinations diverses ont, bien sûr, marqué l'architecture de cette bâtisse. Sur la partie centrale ancienne de la façade de la place de l'Hôtel de Ville, les fenêtres rondes interpellent bien des visiteurs. Contrairement à ce qu'on voit à l'extérieur et qui n'est qu'un décor récemment rajouté à l'occasion de fêtes de Noël, la fenêtre sous-jacente comporte des petits carreaux rectangulaires. Mais cet artifice de décor qui a été laissé en place a pu être reconstitué après observation de vieilles cartes postales. Cette fenêtre ronde comportait bien, autrefois, cette même rosace et c'est le souffle de l'explosion de la bombe de mai 1940 qui l'a détruite comme les vitraux de l'église voisine. Elle a été remplacée par la fenêtre à petits carreaux rectangulaires que l'on peut entrevoir encore de l'extérieur.

On se pose souvent, à  propos de son dessin, la question du choix de cette étoile. En considérant la position et surtout l'orientation de la salle qui se trouve derrière cette fenêtre, salle située juste au-dessus de la chapelle, je serais personnellement amené à penser que dans la conception originale du séminaire, il devait y avoir, là, une salle d'étude qui profitait pleinement de l'éclairage du matin par ses fenêtres latérales et, de midi jusqu'au soleil couchant par cette grande rosace. Le dessin n'a pas été choisi au hasard. Le polygone inscrit est le symbole de la vie intellectuelle, plus il y a de pointes, plus on se rapproche du cercle, celui-là symbolisant la perfection de l'esprit, c'est-à-dire « Dieu ». Le profil des meneaux de cette rosace n'était pas rectiligne mais « engrêlé », c'est-à-dire en dents de scie avec des pointes tournées vers l'intérieur et des intervalles arrondis. D'autre part, on n'est pas certain que cette fenêtre ait eu des vitres colorées, mais on peut le supposer et, si on se réfère à l'Héraldique, chacune des pointes correspond alors à une couleur, le pourpre, le gueules, le sinople, le sable, l'azur, la dernière recevant l'argent et le centre l'or, tandis que le champ de l'écu, ici, la bordure, reçoit le tanné ou tenné (en héraldique : orangé tirant sur le marron), chez qui peut être vu le passage du noir à l'or. Cette rosace symbolise donc le passage progressif du noir à la lumière, au centre, du néant à l'espoir, ou de l'obscurantisme à Dieu qui est « lumière ». En outre, l'étoile à six branches introduit le symbole du haut et du bas, de l'esprit et du corps dont le « sceau de Salomon » symbolise l'étreinte. Il n'est peut-être pas indifférent ici, de noter que cet hexagramme a répondu au nom de « bouclier de David ». Les six branches marquent également la division cosmogonique de l'espace : zénith, nadir, levant, ponant, midi, minuit. Il faudrait peut-être voir ici la référence à David qui figure en bonne place dans l'arbre de Jessé et qui a construit le Temple de Jérusalem pour y apporter l'Arche d'Alliance. Par ses références à l'Ancien Testament, la symbolique de sa géométrie et le jeu des lumières dans ses vitraux, cette fenêtre devait créer, dans cette salle d'étude, un climat propice et incitatif à la réflexion et à la spiritualité. De plus, par ses vitres colorées, elle ne permettait pas au lecteur de se laisser distraire par ce qui pouvait se passer à l'extérieur et contribuait à créer, pour les « Petits Samuels* », un lieu privilégié pour l'étude et le travail intellectuel.

(* C'est ainsi que l'on dénommait les élèves de ce Séminaire.
Dans la Bible, Samuel est le prophète qui a prédit son avenir à David.)

Les deux petites fenêtres latérales présentent des huisseries en forme d'étoile à cinq branches (cinq « rais ») mais renversée et on se perd en conjectures quant à leur signification. Elles aussi sont visibles sur les photos anciennes et elles datent peut-être même du temps de la construction du bâtiment. Ces étoiles pourraient alors être considérées comme une signature héraldique.
(En Héraldique, l'étoile est une « figure naturelle »). Dans l'étoile à cinq rais, symboliquement, on trouve neuf points principaux qui correspondent aux neuf règles de la Chevalerie et peuvent également dénoter les principales parties de la physionomie du Chevalier : la partie haute désignant la tête (esprit, jugement, mémoire), la partie centrale, le cou, le cœur et le nombril, la partie basse désignant les flancs, les hanches et les jambes. L'étoile se présente donc, le plus couramment, pointe en haut (en chef) et plus rarement, comme ici, pointe en bas, c'est-à-dire « versée », ce qui pourrait correspondre à une brisure, distinguant une branche cadette ou une branche bâtarde. (On retrouve cette étoile « versée » au fronton d'une des maisons qui fait face à ce bâtiment et qui avait peut-être un rapport direct avec le Séminaire ou ceux qui en sont à l'origine, soit du côté des Pécourt, soit de Mgr de la Fare (??)  (voir document joint)
Certains voient dans ce renversement, une sorte de contestation ou de renversement de la Foi ou encore une manière de tourner le spirituel en dérision. D'autres font référence à l'étoile des Francs-maçons sans toutefois pouvoir apporter quelque preuve que ce soit sur ce qu'ils avancent (à mon avis, cette option serait peu probable au fronton du Séminaire !) mais on peut rappeler, là, que l'étoile symbolise le corps du Chevalier et non la spiritualité. D'autre part, comme personne ne sait qui a bien pu réaliser ces huisseries, ce ne pourrait être, là, qu'un artifice d'architecture sans idée préconçue ni signification cachée !
Toutes les hypothèses sont encore possibles !

Si les étoiles étaient dressées, pointes en l'air, et si l'on se posait simplement sur le plan de la religion, car, après tout, on peut penser que ces étoiles sont là depuis l'origine du bâtiment et qu'elles ont été voulues par le bâtisseur, on devrait se rappeler que :
L'étoile est un des plus anciens symboles de la divinité. La Bible et le Christianisme en font un large usage : l'étoile qui guide les hommes dans les ténèbres est celle de Dieu qui leur montre le chemin à suivre. Elle indique souvent un événement à venir ou récemment survenu : comme telle, elle se rattache alors plus spécialement au Messie (l'étoile qui guide les Rois Mages est la plus célèbre : elle renvoie à une prophétie du Livre des Nombres).
« Une étoile se lève de Jacob, un sceptre surgit d'Israël. » Nb 24, 17.
Placée sur le front ou devant le visage de certains saints, elle est signe de pureté.
(à rapprocher des vitraux du pensionnat)
Douze étoiles figurent les 12 tribus d'Israël ou les 12 Apôtres.
Toutes ces étoiles ont généralement 5 branches.
L'étoile de David, devenue symbole du judaïsme, en a 6.

Le linteau de la porte centrale, malgré quelques modifications, présente encore son apparence d'origine. Il est d'inspiration néo-classique, style que l'on retrouve sur bon nombre d'édifices publics du début du XVIII°.
Le clocheton visible de l'intérieur de la cour est, lui aussi, de cette époque.
Les bâtiments latéraux vétustes et abîmés par les guerres ont été reconstruits après 1945 à destination du préventorium.
Les cartes postales témoignant de ces destinations différentes des bâtiments sont assez courantes aujourd'hui.

 

(Jean PESTEL)